Je n'ai pas le temps.

Je n'ai pas le temps d'écrire.
De venir vider un peu ce qu'il y a en trop.

Le matin, la chaine Hi-Fi s'allume de 6h54 à 6h58. Quelque chose comme ça.
J'ouvre les volets électriques. Et se dévoile un paysage sans vie. Il fait encore nuit.
Je sens que dehors il fait froid. Je suis obligé d'allumer. Le soleil ne se projette plus sur le mur d'en face.
Ca sent la nuit. Ca sent le froid. 

Un regard dehors, pour s'assurer que cette vie n'est pas la mienne.
C'est bon. Les voitures défilent. Une personne par voiture.
Les gens vont travailler. Il parait qu'il n'y a pas de vrais Lyonnais.
Qu'il n'y a que des gens qui s'installent pour le travail. Cela semble tellement vrai.
Ils font la tête dans les voitures. Je le verrai tout a l'heure quand je partirai.
D'ici, je ne vois rien. Je suis loin de la route, et je suis en train de me preparer.
Un petit déjeuner devant Télé matin, et l'autre Grognon que je peux pas voir.
Mais c'est ça ou les dessins animés en une dimension.
Puis dans les dessins animés, ils ne mettent pas l'heure.
Pour pas que les enfants se doutent que plus tard ils ne regarderont que ça.
Que leur vie sera rythmée de routines en aiguilles.

Je pars. Je passe le moment où il lme reste 10 à 15min, et où je decide de faire la vaisselle de la veille.
Au sous sol, les gens partent en même temps. Tout le monde fait la même chose. C'est "normal".
Je roule et je regarde les gens. Le matins ils sont encore endormis. Le regard vide.
Je vous passerai la longue tirade où je les décris, avec tout ce que je pense.
C'est dommage c'était encore peut être le seul passage qui aurait pu être interessant.
J'arrive au boulot. Y'a juste mon chef direct d'arrivé. "Salut, ça va?" Jusque là, ça va.
J'ai quelques dizaines de minutes tout seul dans un grand bureau. Une heure parfois.
Oui, on prend à la même heure. Même si ça ne se voit pas.
Puis un arrive, puis l'autre. "Salut, ça va?".
Les rois du monde sont arrivés. Ils se la racontent. Comme tous les mecs qui vont arriver entre 8h15 et 9h05.
Ouais, 200 personnes environ quoi. Chacun fait semblant de s'interesser à la journée de la veille de l'autre, à celle qu'il l'attend aujourd'hui, etc. "Oui, hm, ouais, hm, hm mouais. Hm, c'est sûr. Ah ouais?". On aime montrer son emmerveillement face à ce que raconte l'autre, même pour de la grosse daube. Mais bon, ça montre qu'on s'interesse a l'autre, qu'on le respecte, qu'on l'écoute, qu'il a de l'importance, etc. Ce qui a pour effet de consolider les liens. Les faux liens. 
Ca défile, ça s'invite à prendre le café, a 9h, a 10h, a 11h, etc. Ouais, trop de stress, trop de responsabilités. Trop un steak.
Ca fait les bises à droite, à gauche, ça sous entends, ça passe au suivant, ça refait le monde. A droite, à gauche. Toujours.
"Whoua c'est pas vrai, deja midi, j'ai eu le temps de rien faire! pwoua."
Ben écoute tête de noeud, si t'avais pas prit tes 15 cafés, que t'étais resté dans le bureau plus de 30minutes, t'aurais peut etre tombé du taff tsé. Pff.
Nan mais ça c'est l'hallucinance totale: Le mec est dégouté que ce soit déjà l'heure.
No comment.  Je vis dans un autre monde.

A midi, sur la route, les gens sont reveillés. On met de la bonne musique, tout le monde se dépeche. Oui, a midi, tout est chronométré. 
C'est a celui qui gagnera le plus de secondes de "repos". Les secondes sont precieuses mais ne servent pas a grand chose paradoxalement.
Plus vite.
Je retourne travailler a 13h17. J'arrive a 13h28. Je suis encore le premier. Apres mon chef direct évidemment. 
Les autres arriveront a partir de 13h38 au mieux, en traversant la cour, en bombant le torse, relevant les épaules. Des putains de masse.
Laissez moi rire. Ou vomir. Mais laissez moi.
Bon, apres, l'apres midi n'en fini pas. C'est infiniment long. Ils continuent café, clope, chiotte, refesage de monde. Moi je fais leur boulot en attendant. 
Et encore, si j'en ai c'est deja bien. Desfois c'est vide, et les secondes sont des heures.
Soit je travaille trop vite, soit il faudrait que je boive du café, comme ça j'ai envie d'aller aux toilettes, j'y vais, je crois miss chépakoi, je lui fais la bise, je refais le monde avec elle, ensuite j'y vais, je reviens, et puis voila. Hop, une heure de gagné. La boucle est bouclée.
Seulement j'ai du mal. Je sais pas faire semblant, enfin si, puisque je le fais bien souvent. Mais autant qu'eux ? Impossible, cela fait des années que j'ai arreté. D'un coup, comme ça. Ben quand mes parents se sont séparés sûrement. J'ai compris que ça ne servait à rien. J'ai vu leur cinéma à tous ces gens. Et je n'apprécie que le grand cinéma. Celui où les acteurs sont payés pour jouer. Pas ceux de tous les jours qui m'épuisent. J'ai arrêté de jouer. Depuis bien longtemps. Alors je reste assis. Quelques coups de fil passent le temps. Quelques fuilles jetées sur le bureau passent le temps. On est prit pour de la merde parfois, mais c'est pas fait méchament. laule. Et ca occupe. 17h, on entend les roulettes de la conchita qui travaille 1h30 par jour et qui doit tourner à un taux horaire 2 ou 3 fois plus élevé que le miens. Pf, et le reste, ouais. Elle ne parle pas Français. Elle dit juste "Bonsoir". Et tous les jours c'est pareil. Tous les jours. Et tout le monde répond "Bonsoir!" bien fort avec un grand sourire. Cela montre qu'on respecte ce qu'elle fait, qu'elle est considérée comme les autres, et qu'on est pas raciste. Seulement certains le sont. Et leurs bonsoir sonnent différemment. A 17h15, il reste plus grand monde. Je sais pas ce qu'ils ont comme contrat. Ils arrivent a 9h, repartent à 17h, et ont leurs mercredi. Oui, je parle des secretaires en majorité, mais quand meme. Puis elles aussi gagnent beaucoup plus que moi. Mais bon, ça encore, c'est normal. 
Bref, il est 18h, cassos. Ah, nan, ils reviennent de leurs discutions de la journée, et me demandent de faire ci ou ça en speed avant de partir. Normal. Pf. 18h15. 18h30. 19h. 19h30. 20h. 20h15. J'ai fait un truc qui ne pressait pas. Mais c'était un caprice de l'autre con. Je suis l'avant dernier des 250 personnes à quitter la boite. Le con part toujours dernier. Pour montrer que le toutou est fidele. Il ne se rend pas compte de la vie de merde qu'il mène. Il le sait mais il fait tout pour se voiler la face. Pas de chance. Le probleme, c'est qu'a force de se voiler la face, il se persuade, et se laisse mourir dans sa propre illusion. Il finira comme ça. Il mourra comme ça.

Je rentre chez moi. Les gens sont "libre" sur la route, ça se sent. Mais fatigués, un peu.
Moi aussi je le suis. Les courses attendront demain. Le coup de fil a mon ancien prof attendra vendredi. Les papiers pour resilier mon abonnement de portable attendront le week end. Le ménage aussi. Le rangement aussi. Et tout le reste aussi. 
La semaine, le soir, je m'éffondre. 20h30, faut faire a manger, manger, débarrasser un minimum, etc. Je reve de m'allonger, de prendre le temps de souffler. Mais non. Il faut aller se coucher. Et ce n'est pas du repos. Parce que pendant qu'on dort on ne "vit" pas. Alors c'est parti pour le cérémoniale du coucher. Puis au lit. Puis fermage des yeux. Puis rouvrage des yeux, ...j'entends de la musique.

Il est 06h54. Un cauchemar vient de se terminer. 
Un nouveau recommence. 


Il faudrait arrêter de croire que l'on est indestructible. La fin n'arrive pas qu'aux autres.
Quand elle vient, elle ne fait pas de cadeau.
C'est plus vrai que notre esprit ne peut l'imaginer.
Je le dis parce que je le sais.




Des gens se suicident à cause de leur travail.
Imaginez comme la société nous illusionne. Nous en sommes prisonnier.
S'ils se suicident pour ça, cela signifie que leur métier avait plus d'importance que leur propre vie.


Imaginez..





Publié par Mathias, le Mardi 15 septembre 2009 à 22:11

Par glandeur-rockmantique le Mardi 15 septembre 2009 à 22:47
Texte très fort ! A la lecture, on se prend toute la puissance des désillusions en pleine face !
Il me fait penser à une chanson, "7H23" des Cadavres (un vieux groupe punk), qui raconte un peu de la même façon le quotidien absurde et insipide d'un individu banal. C'est à dire n'importe lequel d'entre nous.

Par contre, je ne suis pas trop d'accord avec les quelques lignes. Il ne me semble pas que ces gens là se suicident parce qu'ils considèrent leur boulot plus importante que leur vie. Je pense qu'à peu prés tout le monde a conscience qu'en gagnant sa vie on ne fait que se perdre soi même, que le travail nous prive de notre vie et réduit celle ci à une survie sans intérêt. Même inconsciemment, tout le monde le sait ça, tout le monde s'en fait des constats déprimants du genre.
Mais c'est pas pour ça qu'il est facile de réagir. Parce que comment ? Et puis contre qui ? Il y a tellement tout qui va mal. Comme tu le dis, on se sent dépossédé de sa propre vie, comme si c'était un film qu'on traversait sans s'attacher à rien. C'est plus un état des choses qui nous pourrit le moral. Un fonctionnement de société. Il y en a qui pensent à changer de boulot, à divorcer, à monter un groupe de rock, mais au final ils savent que tout ça n'aura qu'une utilité éphémère. Parce que ce qui va mal est si important qu'il faudrait un changement radical.
Certains sont si dépossédés de leur vie qu'ils ont sans doute l'impression qu'il ne leur reste plus que leur travail. Quand notre vie nous échappe, il n'y a souvent que dans le milieu professionnel qu'on a l'impression d'avoir encore un peu de pouvoir, alors quand même là ça va mal il y en a qui se suicident.
Mais ils ne regardent pas dans le bon sens. Parce que s'ils remettaient tout en cause, radicalement et globalement, ils se sortiraient de leur dépression. Il faudrait qu'ils se réapproprient leur vie et ça c'est carrément difficile, puisque cela peut impliquer de tout plaquer, femmes et enfants, et partir seul et sans rien, enfin j'en sais rien il y a 10000 façons de devenir enfin soi et de vivre sans contrainte, mais c'est un long et douloureux parcours.
Par maud96 le Vendredi 25 septembre 2009 à 18:07
D'accord avec glandeur-rockmantique : tu exprimes bien ce qu'on ressent souvent... insignifiance du temps décompté, artificialité des rapports humains.
Mais je t'ai vécu comme trop "pessimiste", malgré tout : peut-être parce que je suis encore un peu naïve, peut-être parce que je suis née avec des gènes d'optimisme (ou que ma famille me les a inculqués !). Un texte qu'on lit d'une haleine en tout cas, tant on a l'impression de s'y retrouver...
 

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